Février

Mardi 1er février, vers 0h30
Impression de brasser du vent en tenant ce Journal. Combler un vide d’existence qui n’a pour tout attrait que de renouveler la stagnation.
Vu dimanche (avec Flo J.) un joli film américain, Sixième sens, dont l’astuce du scénario en décuple la saveur. Bruce Willis confirme sa grande pointure ; le petit garçon magnifie l’atmosphère. r.a.s. pour le reste.

Jeudi 3 février
Bien curieuse existence qui anime ma vie. Soucieux de préserver cette indépendance qui me dispense de tout lien de subordination direct, je cultive une précarité ne permettant aucune construction.
Les semaines défilent : célibat et réclusion se systématisent.

Vendredi 4 février, 0h10 env.
Réveil prévu à six heures pour une journée chargée en cours particuliers à donner. Une activité de pis-aller qui assure mon autonomie et me permet une survie minimum. Mon isolement semble lui sans solution. Désintéressé par ceux (et surtout celles) qui s’intéressent à moi, sans intérêt pour celles qui ont ma préférence, je suis condamnée à n’être que spectateur de l’existence.

Encore une en qui je n’aurais pas dû avoir confiance : Isabelle M., professeur à l’université de lettres, à qui j’ai confié mon dernier exemplaire des Boyaux et qui s’est depuis volatilisée, changeant de numéros de tél.
Attentiste, contemplatif, je ne vois pas d’issue généreuse et épanouissante à cette vie médiocre dans laquelle je me complais. La justice n’a pas besoin de m’épingler : je me suis condamné tout seul.
La supplication m’accompagne dans mes déplacements par TCL Des témoignages qui parfois prennent littéralement aux tripes.
Internet incite à la débauche : bien plus facile de se connecter à un site pornographique (vu ce soir Kaléidoscope qui rassemble des photos de célébrités francophones (comme Adjani, Kaprisky, Caroline du Juste Prix, etc.) et étrangères (Demi Moore, des mannequins nues) qu’à un site culturel comme Gallica. Si les photos des stars et vedettes féminines apparaissent assez facilement, l’introduction aux Essais de Montaigne, dans son édition originale, peine à se dévoiler sur l’écran. La numérisation des pages (quinze millions de disponibles d’après leur accroche) favorise une rapidité d’exécution mais alourdit considérablement le transfert puisqu’elle fait de textes des images. Résultat : après trois pages demandées successivement (comprenant la couverture et la page de titre), l’ordinateur m’a informé d’un souci technique. Impossible d’aller plus en avant dans Michel de la Montagne. Dépité, je suis retourné renifler les monts mammaires et de Vénus des Béart, Cachou, Winter and Cie.
Voilà comment on fait des obsédés !

Samedi 5 février
Première petite escapade hivernale dans le parc de la Tête d’Or. Une journée magnifique pour sa météo, sereine pour ma psychologie. Lu quelques pages du Journal de Polac assis sur un banc vert. Ses états d’âme me touchent, mais sa sensibilité politique me laisse de marbre.

Dimanche 6 février, bientôt 1h du mat.
Un samedi soir de plus passé en solitaire. Une bien pauvre vie que la mienne. Démotivé pour tout, je laisse filer les années pour une mort certaine. L’âge venant, les regrets, les amertumes, les désespoirs rongés s’intensifieront.

Mardi 8 février, 0h17

Le réalisateur Claude Autant-Lara décédé il y a peu, France 3 diffuse sa fameuse Traversée de Paris.
Cour particulier donné en Français à une certaine Elo F. (en 1ère stt) qui réside à Saint-Cyr au Mont d’Or : magnifique jeune fille qui, par certaines de ses réactions, me rappelle Cathou... Très attachante, mais d’un caractère probablement invivable. Ce soir Flo J. m’a convié à l’accompagner aux victoires de la musique classique et du jazz qui se déroulent à l’Auditorium de Lyon. J’espère que le classique ne sera pas trop dominant.
Le terrorisme intellectuel sévit de plus belle en Europe après l’arrivée de Haider, de sa formation tout du moins, au gouvernement autrichien. L’hystérie gesticulatoire des pays de la CEE et des Etats-Unis témoigne du diktat idéologique régnant. Le dogmatisme démocratique finira-t-il par éclater ?
J’achève dans le flou (sans lentilles)...
Les merveilleuses tirades de Gabin dans La Traversée de Paris désacralisent les poncifs de tolérance envers les modestes : là et plus encore qu’ailleurs, les médiocres pullulent. La lucidité n’empêche pourtant pas la compassion et l’aide à l’autre : aujourd’hui, j’ai fait ma b.a. en relevant un clodo boiteux et puant qui venait d’entrer dans le bus.

Mercredi 9 février, minuit...
Levé à six heures (du moins réveil) pour deux heures à donner en philosophie. Mes semaines défilent et mes paupières se ferment d’elles-mêmes.
Vers 18h. Annonce d’un nouveau pseudo-adoucissant terminologique. Après l’infréquentable inculpé dont le sens en langage courant avait fait un sort révélateur, la mise en examen n’a pas vraiment redoré la virginité perdue du soupçonné. La sémillante Guigou, via le corps législatif, concocte une troisième mouture, le TÉMOIN ASSISTÉ. Question : est-ce vraiment un problème d’appellation ? L’inclination du voyeur lambda, le commun des mortels pour résumer, largement soutenue par le jeu de massacres des médias, porte, quelque forme que prenne la désignation, à condamner par apriorisme tout individu objet d’attentions investigatrices de Dame Justice. La prochaine étape de l’étiquetage du bougre visé devra-t-elle tenir de la fervente pré-réhabilitation ? L’innocent présumé pourrait convenir, ou mieux encore, « le pur de pur a été présumé innocent dans l’affaire x ».
L’Etat annonce une nouvelle cagnotte, selon le terme (encore !) plébiscité par Big Média, de trente milliards et quelques poussières de centaines de millions, après les vingt-quatre déjà annoncés en fin d’année dernière. Une santé économique du tonnerre qui a dépassé toutes les prévisions de rentrées fiscales. Affligeant d’entendre les politiques se chamailler sur le bon usage à faire de ce bonus : supprimer la taxe d’habitation, augmenter les minima sociaux, réduire le déficit public, aider le système de retraites, réapprovisionner les hôpitaux en personnel, ouf ouf ! On les sent bavant, essayant d’en récupérer quelques miettes au passage. Personne n’a eu le courage, le culot plutôt, de proposer ce qui arrivera sans aucun doute à une partie de la somme : grossir les fonds secrets, les caisses noires... enfin les marges de manoeuvres occultes de l’Etat.

Mardi 15 février, 1h du matin
Le lundi bien terne, hormis le très agréable cours donné à Elo F. Elle a vraiment du Cathou dans le sang, plus fine intellectuellement toutefois, et certainement mieux faite de corps. Tout cela reste fantasmatique et ne me fait rien construire. Mon semblant de vie est comme en apathie. Mon isolement (volontaire) s’accentue : désertification dans mes accointances et relations : plus grand chose ayant quelque épaisseur... plus grand chose tout court. La Saint-Valentin pour moi, c’est nib !
Nouvelle catastrophe écologique majeure en Europe de l’Est : empoisonnement par d’énormes quantités de cyanure (provenant de mines roumaines) de fleuves,
rivières, etc. Toute la chaîne alimentaire risque d’être mortellement touchée. Après Tchernobyl, nouvelle folie humaine...
Ce soir, un Dossier de l’histoire sur l’extrême droite en France : toujours les mêmes analyses, les mêmes stigmatisations, mais avec le sentiment en plus de parler d’un mouvement en passe de marginalisation suite aux éclatements divers. En revanche, une approche intéressante de l’antisémitisme présent jusque chez Gide ou Bernanos. Et tout mon univers littéraire : Céline, Rebatet, Brasillach, Léautaud, Drumont, Gobineau, Figuéras, Brigneau, Bardèche...

Mercredi 16 février, 1h du matin env.
Fidèle insomnie très provisoire et contrôlée pour gratter mon quadrillé.
Caractère de Yo-Yo de plus en plus. Mes résolutions se brisent face au total désintérêt pour la construction d’un projet de vie. Mener cela pour quoi, pour qui ? N’ayant que moi-même comme compagnon de route, je n’aspire plus à rien. Un nihilisme avachi et sans volonté de puissance.
En revanche, une détermination physique qui se renforce (je n’ai plus rien à perdre en quelque sorte, si ce n’est ma dignité, mon honneur...) et qui m’éloigne de toute appréhension d’un éventuel affrontement avec un casse-burnes. A un
connard visiblement éméché, la bouteille dans une main, la cigarette dans l’autre, le tout dans un wagon de métro, j’ai demandé l’extinction des feux. Refus décontracté du branleur : aux diverses conneries qu’il marmonnait, je lui répondis que les tripes, moi, je les bouffais directement et je lui demandai s’il n’avait jamais désorbité un œil. Je sentais les regards ahuris des voyageurs. Pour moi, le cran suivant de la détermination sera d’annoncer clairement les voies possibles au fumailleur : il s’exécute ou je le tue, avec calme et satisfaction.

Samedi 19 février, 1h15 du matin
Et si mon existence devait se réduire à ce défilement monotone des semaines, de cours en cours, sans aucune possibilité d’envisager une quelconque construction, la survie précaire étant l’unique et piètre obsession.
Autre solution, ou terrible confirmation de l’inéluctable avachissement en cas d’inaboutissement : se lancer dans l’écriture d’un récit atypique, avec un ton et un style inédit, dérangeant, sur le fil du rasoir. Mais quoi raconter : mes tourments, mes contradictions, la torturante destinée d’un homme ordinaire ?
Ce style, pourrait-il correspondre à une précision déjantée : non point le dégraissage des phrases réduites à une plate inconsistance, mais une exacerbation épurée d’un langage cinglant et imparable.

Dimanche 20 février, vers 1h15 du mat.

Un nouveau samedi soir en tête-à-tête avec mes zigues... me partageant entre Colombo (notre si attachant lieutenant de L.A.), internet et quelques corrections sur la thèse de Sandrine pour pouvoir imprimer une version correcte.
Je dois la voir cette après-midi, ainsi que la charmante Florence P. (qui s’exile à Londres avec son fiancé en septembre prochain).
Passage en coup de vent au château d’Au le deuxième week-end de mars pour les tâches fiscales annuelles.
Fréquence Jazz berce cet éveil forcé devant les petits carreaux du cahier... Je ne vais plus lutter, l’urgence d’écrire étant bien retombée.

Mercredi 23 février, sans doute minuit...
Une source de satisfaction pour mes cours particuliers : une élève que je suis, Julie K., jolie liane bien vive, et que j’avais aidée pour le commentaire d’un extrait de Tropisme (N. Sarraute) a été notée 18/20, une première pour son professeur qui a indiqué sur sa copie « Devoir remarquable ». Son bonheur et sa gratitude envers moi (comme de la part de sa maman) m’ont comblé.
Ce soir, lecture partagée entre deux diaristes : Polac et Léautaud, l’un et l’autre me nourrissant à des niveaux très différents. Polac par une identité de certaines réactions ; Léautaud pour la sérénité gouailleuse de ses notations.
Peu de rapport passionnel pour la lecture qui m’inclinerait à dévorer un ouvrage sans pouvoir le lâcher. Démarche contraire chez moi : j’en commence une dizaine en même temps, puis je les déguste lentement, sur des périodes parfois très longues (le Journal littéraire de Léautaud commencé en 1988 ou 89, je n’en suis qu’au volume XIII), comme un alcool fort. Peut-être qu’une simple fainéantise de l’esprit.

Samedi 27 février
Une fois de plus, le célibat a fait son œuvre. Déjà peu convivial par nature, l’isolement lyonnais n’arrange rien.
Pour ne pas me complaire dans le ressassement bougonneur, je me décide pour une toile au cinéma le plus proche. Seul film non vu et pouvant capter quelque attention dans une visée distrayante, Toy Storie 2 (le premier avait été vu avec Karl à Laon, il me semble). Résultat : une petite dizaine de spectateurs, et tous en couple ! Je suis damné, pestiféré dans ce système social.

Lundi 28 février, 0h30 ?
Dans le brouillard avant l’extinction des feux. Mon samedi soir s’est ponctué de l’heureuse découverte de Toy Storie 2 (belle humanité de jouets) et par la fréquentation du malodorant First (bar et boîte).
Ce dimanche ensoleillé, promenade dans le bondé parc de la tête d’Or et rédaction sous les rayons de quelques lignes pour ma thèse. A ce rythme, je la passerai pour ma retraite (si j’y ai droit !).
Jospin va-t-il nous faire attraper quelques attentats sur le sol national après son évidente maladresse langagière ? Signe de la sanction : un des cailloux qui lui étaient adressés a atteint la tonsure naissante du premier ministre. Un point rouge en atteste.

Mercredi 29 février, 0h20
Illustration de l’innommable médiocrité de certains humanoïdes : Big Média TV
hexagonal rapporte (avec une complaisance amusée et bienveillante) que quelques tarés se sont présentés devant un grand magasin autrichien à poil pour être l’un des cinq premiers à recevoir un bon d’achat de deux mille francs pour récompenser leur insondable connerie à piétiner. Voilà les dangereux qui mettent en péril l’intégrité humaine et non le bellâtre Haider.
Bougrement édifiant en tout cas du décervelage de ces pitoyables actants de la société de consommation.

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