Juillet

Lundi 3 juillet, 0h45
Vu hier l’impressionnante fresque Gladiator avec un Maximus qui fait des jeux du cirque un lieu de déstabilisation du pouvoir illégitime.
En l’an 2000, la recette « du pain et des jeux » suffit toujours pour contrôler les peuples. Cette nuit, celui de France est heureux. Klaxons et cris s’entremêlent pour un débraillage de premier choix. Une course après une balle, voilà ce qui est la cause du déballage bruyant. Quelle évolution de la civilisation humaine, mazette ! Lamentable. Entendre les politiques Jospin et Chirac abonder dans le sens du bon pôple confirme bien le caractère dégénéré de notre régime.
23h30. Visite en fin d’après-midi de Flo J.
En la poussant dans ses retranchements, j’apprends les blessures morales que je lui ai occasionnées, et qu’elle n’était pas loin de me haïr, que sa sœur a été très sévère sur moi... un tableau apocalyptique de ma personne. Ce qui est plus troublant : plusieurs défauts soulignés m’ont été reprochés par d’autres qu’elle. Je suis perçu comme étant d’une froideur insupportable hors de la « couche-à-sexe », d’une curiosité obscène au départ, suivi d’un désintéressement de l’autre, d’un égocentrisme excluant, voire d’un opportunisme cynique... tout moi ça ! Je suis gâté ! En tout cas j’ai bien mérité mon isolement.
Pendant toute cette conversation, je la sentais prête à nouveau à flancher, malgré ses dires critiques... Je n’ai pas eu le moindre signe de complicité. Cela n’aurait eu aucun sens de repartir dans ces chemins bourbeux. Je récupérerai, dès que possible, la paire de tennis et la raquette laissées chez elle. Sans doute notre dernière entrevue.
Le délire footballistique a remplacé le Tout-Puissant dans nos contrées. Les vingt-deux incarnations du dieu Ballon ont eu droit à l’hystérique adoration du peuple venu en nombre sur la place de la Concorde. Un Lizarazu (?) au Vingt Heures qui surprend agréablement par un discours intelligent.

Mercredi 5 juillet, 0h30
Poursuite du travail sur le Gâchis, année 96. Curieuse impression à la lecture de la correspondance de Sandrine (il me faut retrouver ses myriades d’interrogations pour les faire figurer en tête de mes réponses, restituer un dialogue, parfois). Cette plongée dans les déclarations enflammées, les dons de soi, les projets sans limites, et au final une baudruche d’illusions rapidement révélée.
Ce soir, en rentrant du cinéma (vu la gentille, mais un peu complaisante, comédie Jet Set) j’aperçois ma petite voisine arabe et son garçonnet. Echange de bises et de quelques paroles : son visage avait repris de jolies couleurs et un beau grain de peau. Mystère que cette jeune femme instable et que je ne courtiserai pour rien au monde : la loupiote danger ne me laisserait pas en paix.
Elo et Mme F. m’ont appelé pour une très prochaine invitation à dîner. La fille, qui a sans doute fait mon numéro sur la demande de sa mère, m’a semblé quelque peu distante comme si je devenais, une fois l’aide apportée, moins digne d’intérêt. Masochisme, paranoïa ? Si j’en ai l’occasion, je lui demanderais directement, cela évitera les masturbations intellectuelles auxquelles je m’adonne souvent dans ces pages. Mais n’est-ce pas un peu le propre du
diariste ?
En cours de lecture de Le Film pornographique le moins cher du monde de Fred Romano. Dernier amour de Coluche, elle signe là un témoignage au scalpel du clown et de son univers. Terrible contraste lorsque l’on songe qu’il était sans doute l’un des dix Français les plus influents sur les idées de la population.

Jeudi 6 juillet, 0h30
Très agréable soirée avec la famille F. Un dîner à l’air frais du soir avec des brochettes goûteuses, puis descente dans le vieux Lyon pour se délecter de parfums glacés et enchanteurs chez Nardone. Une Elo plus belle que jamais dans une petite robe noire à hurler (comme le loup de Tex Avery), toujours aussi fofolle et agréable. Je ne peux expliquer combien sa présence est une extase de tous les instants, elle m’enchante par sa fraîche vivacité, elle m’enivre par sa féminité transpirante. Je voudrais pouvoir ne jamais la quitter un instant, profiter à mille pour cent de chaque moment en sa compagnie. Son effet sur moi ne tarde jamais : le misanthrope renfrogné devient joyeux, festif, drôle voire délirant. Et je la fais rire, ce qui me ravit chaque fois. Si j’avais pu être lié à elle par le sang, par les sentiments réciproques, mon état d’esprit, mon rapport au monde en eurent été bouleversés. Mais, comme souvent, je demeurerai sur la berge.

Mardi 11 juillet
Revu Marie-Pierre C. et son compagnon Damien venus dans la région pour la « Fête des Calypsos » organisée par les quatre copines de lycée qui, aujourd’hui, tutoient les trente ans. Eugénie, Lucie, Marie-Pierre et Raphaëlle, quatre drôles de dames (Damien, par un tour de passe-passe graphique, en a cloné une pour l’affiche et les cartons d’invitation) qui se retrouvent à... Charly, dans la belle propriété de la dernière d’entre elles. Près d’une centaine d’invités, vingt litres de punch, du solide à profusion, de la musique à gogo...
Tout pour passer une joyeuse et fêtarde soirée. Je n’échappe pourtant pas à de larges plages d’isolement (volontaire ?), témoin renfrogné des complicités alentours. Je préfère de loin les comités plus réduits qui ne m’inclinent pas à adopter le profil anonyme. Marie-Pierre, toujours adorable et séduisante, s’est gentiment inquiétée de mon cas à plusieurs reprises, mais je l’ai à chaque fois rassurée. J’ai laissé quatre vers improvisés sur la grande toile blanche tendue pour recevoir le délire scriptural des convives.
Couchage chez les parents de Marie-Pierre, à Montagny, dans une très chaleureuse demeure à la piscine fraîchement construite. Un petit paradis matériel, fruit de trente ans de labeur du père, pour ce couple solidifié non par les sentiments mutuels, mais par les années accumulées et les conditions de vie. La raison leur permet de passer sur les dissensions multiformes et de posséder ce joli coin. Finalement, une destinée qui aura un sens. La mienne n’a pas d’alter ego à trente ans... et jusqu'à quand ?
Jeudi 13 juillet, 0h30
Je regardais hier soir Mary à tout prix avec Nathalie U., mon amante du moment. Le flash : cette chère Elo, qui doit avoir ses résultats aujourd’hui, a le même type de visage que Cameron Diaz : un adorable minois tout rond.
Fraîcheur jusque dans la cuvette lyonnaise depuis quelques jours. On n'est pas loin du juillet pourri.
J’ai fini hier de taper l’année 96, le Gâchis cumule pour l’instant 550 pages. Je ne sais si la correspondance qui y est intégrée présente toujours un intérêt littéraire. J’ai supprimé les passages trop pornos ou sans consistance. Le signe [...] figure tout de même pour indiquer les lieux d’amputation.
Reçu mercredi la très luxueuse carte d’invitation au mariage de Shue et John qui, par ailleurs, notifie la cérémonie civile ayant eu lieu à Paris. Le texte est en anglais : je n’ai même pas essayé de comprendre. Quel fumiste je fais !

Vendredi 14 juillet, 1h du matin
Contrairement à ce que laisserait présumer l’heure tardive, je n’ai point fait de pérégrination nocturne dans les rues lyonnaises. Soirée chez moi, quelques dialogues sur Internet et la poursuite de la saisie du Gâchis. L’année 97 est bientôt achevée et les 600 pages atteintes.
A partir de demain, une tâche urgente supplémentaire : lire les sept ouvrages au programme des médecines de Grange Blanche et des pharmacies, dont la liste m’a été faxée hier, avec dix jours de retard.
Des classiques pour les médecines : Faust de Goethe, Knock (Jules Romains), Dr Pascal de Zola et, moins classique, Thérapie de l’anglais David Lodge. Secondairement, recommandation du Médecin malgré lui de Molière, de Pantagruel, de Voyage au bout de la nuit et du Passage de Reverzy. Thème à traiter : l’image du médecin et de la médecine dans la littérature.
Pour les pharmas, des ouvrages beaucoup moins littéraires : En soignant, en écrivant de Winckler, La science en partage de Kourilsky et Se soigner autrefois de F. Lebrun. L’été devra me permettre d’engloutir tout cela...

Lundi 17 juillet, 1h50
Le Gâchis 91-99 est enfin saisi dans sa totalité : un peu plus de 650 pages. J’espère faire mieux pour la nouvelle décennie entamée.
Mon week-end de trois jours peut rester comme un modèle d’érémitisme : avec un temps frisquet et nuageux, avec une humeur sombre, avec un isolement exacerbé, se cloîtrer s’est imposé tout naturellement. N’omettant pas d’effectuer mes 80 pompes quotidiennes pour entretenir la carcasse, j’ai vagabondé entre Thérapie de Lodge, Le Docteur Pascal de Zola, et ma saisie du Journal pamphlétaire, avec en fond le Tour de France cycliste. Une activité de sage retraité en somme, pas un brin festif.
Mon amante actuelle, Nathalie, m’a bien appelé, mais j’ai écarté toute proposition pour vivre mon retrait du monde. J’apparais bien sans conteste comme le principal artisan de ma pesante solitude. Insatisfait, la plupart du temps, des accointances en cours, fui par celles qui me combleraient (ou qui m’apparaissent comme telles) je vis un traumatisme psychologique constant, inapte à faire fructifier ce qui est à portée, toujours en situation de se projeter vers l’inaccessible relation. Je m’épuise...
Oublié de noter la correspondance physique entre le visage d’Elo F. (qui ne m’a pas téléphoné ses résultats en Français, mauvais signe ?) et celui de Cameron Diaz vue dans Mary à tout prix (navet sans intérêt comique). Voilà l’exemple typique d’une masturbation intellectuelle dont j’ai le secret. Rien ne se passera jamais entre cette jeune fille et moi, pourtant je focalise... Sale habitude qui me démobilise pour une réelle histoire.

[E-mail à Claire D.] - 17.07.
Ma chère Claire,
Que deviens-tu ? J'ai essayé de t'envoyer un message quand j'ai été prévenu du changement d'adresse, mais sans succès.
Prévois-tu d'être à Paris et disponible cet été, ou dans le sud : j'aurais été heureux de te revoir ?
A bientôt. Je t'embrasse. Loïc.

Vendredi 21 juillet, 1h
Avancement dans le Gâchis : tout est tapé, reste les dernières corrections. J’enchaîne tout de suite après sur l’élaboration de l’index des noms cités. Du fastidieux en perspective.
La solitude s’ancre et je ne vois pas d’issue. Mon relationnel ne décolle pas et mon humeur s’assombrit davantage.
Nouvelle méthode pour imposer ses revendications salariales : menacer d’actions terroristes. A Givet, les employés ont adopté cette stratégie avec succès. Toujours ce ventre mou démocratique. Pour moi, comme employeur démoli à une certaine époque, ce sont les tribunaux de commerce que j’aurais dû arroser d’acide ou plastiquer.

Samedi 22 juillet, 0h30
Toutes les corrections du Gâchis passées sur l’ordinateur, et rassemblement des différentes années dans deux gros fichiers informatiques pour un total de plus de 600 pages.

Achèvement également ce soir du Docteur Pascal du père Zola, le dernier de la fresque Rougon-Macquard au programme des médecines de Grange Blanche pour l’année 2000-2001. Scène d’horreur pour moi, bien plus qu’un crime de sang : la destruction par l’hystérique vieillarde, la Félicité de malheur, de toute l’œuvre du sage Pascal fraîchement décédé. Trente ans de recherches passées par les flammes : insupportable anéantissement. Cela me rappelle l’acte de destruction par mon frère Bruce d’une page de mon Journal d’adolescent (j’avais entre 13 et 15 ans) terriblement pamphlétaire contre ses agissements. Ayant subtilisé mon petit cahier de notes (avec frêle cadenas intégré) il avait déchiré la page incendiaire et réduite en cendres.

Dimanche 23 juillet
Maussade nuit de samedi à dimanche, comme des myriades que j’ai sacrifiées. Finalement, je me suis abstrait du monde, ma Quarantaine s’affirme imparable, je n’ai plus rien à espérer de cette vie. Lamentable sort d’autodestruction, d’effondrement intellectuel, d’avachissement existentiel. Trente ans pour un désastre silencieux, clandestin et dérisoire. Tant de rencontres pour qu’aucune complicité, qu’aucun partage n’en émerge. Pour les meilleurs de ceux que j’ai croisés, je ne suis plus qu’un très vague souvenir. La mort n’est pas loin.
Aujourd’hui, je dois boire un verre à la Tête d’Or avec Eve, recommandée par la maman de Marie-Pierre C... Pour m’être rendu dix minutes dans son magasin de produits biologiques, je sais déjà qu’il n’en naîtra pas de lien sentimental. Je ne me sens aucunement transporté, tout juste excité par l’idée d’une nouvelle conquête sexuelle. Quand, celle qui me fera véritablement battre le cœur et qui éprouvera le même trouble, dans l’assurance de nous faire le plus grand bien, croisera ma route ? J’entrevois déjà un âge mûr, puis une vieillesse en solitaire, si le courage ne m’a pas fait me balancer avant ce lamentable aboutissement.

Lundi 24 juillet, 0h40
Vu Eve dimanche après-midi à la Tête d’Or. Agréable moment de discussion, mais je ne peux l’envisager autrement qu’en amie et/ou amante. Ce cumul semble toutefois difficile au regard de son caractère.
Gros travail sur l’index des noms du Gâchis qui donnera, je l’espère, toute la diversité des sphères abordées.
David Lodge, dans Thérapie, utilise le genre diariste pour son personnage principal. Un faux Journal qui comporte des « blancs » calculés. Les miens (jusqu'à sept ou neuf mois, je crois) sont plus ou moins volontaires et mes silences sans doute inconsciemment maintenus.
Ainsi, par exemple, ma rencontre avec cette chère Shue, en avril ou mai 1996, alors que j’entamais tout juste mon histoire avec Sandre, dans son exclusivité réciproque. La greffe sentimentale ne pouvait avoir lieu avec ma persane préférée ce qui, par contrecoup, s’est probablement ressenti par un silence absolu dans mon Journal de cette année (déjà moins tenu et compensé par la production épistolaire).
De même, plus tard, ma complicité affective avec Marianne D. de B., voisine du dessous rue Mouffetard, avec qui l’entente aurait pu s’ancrer si j’avais été célibataire. Aujourd’hui exilée en Angleterre, et certainement en ménage, elle symbolise mon antichambre des occasions perdues. Une autre forme de gâchis, parmi les multiples expérimentés.
Ma correspondance avec Sandre a, certes, gardé les traces « en direct » de l’évolution de notre relation et de mon état d’esprit, mais a amputé mon existence de tout ce qui ne cadrait pas avec notre dualité.
Ne pas tout dire, même un Journal s’y complaît, mais au moins laisser une trace des figures qui ont marqué ma vie. Shue et Marianne en font partie et ne figureront malheureusement pas ou peu (sur le tard pour la resplendissante iranienne) dans le Gâchis 91-99.
Chirac a bien fait son numéro au G8. Boudé par le court-sur-pattes Poutine qui reproche à la France d’avoir saisi pour un créancier suisse l’imposant Zedov ( ?) venu paradé à Brest, notre échalas élyséen a renoué un début de lien par quelques pirouettes linguistiques dignes du vénéré Almanach Vermot (du genre : si avant nous n’avions pas de show, allusion au côté un peu paillettes du G8, nous avions en revanche du froid, à l’époque du rideau de fer). Quel beauf formidable, joyeux et bourré d’esprit, il fait ce président pour rire...
Le catalogue outre tombe s’enrichit des échos de Gilbert Denoyan. J’avais suivi quelques années avec grand plaisir, tous les vendredis soirs, son émission Objection qui réunissait les Estier, Duroy, Amouroux, notamment, lesquels débattaient avec verve et finesse des aléas de l’actualité (politique pour l’essentiel).

Mardi 25 juillet, 0h30
De retour du concert des Cranberries donné au Théâtre antique romain dans le cadre des Nuits de Fourvière. La chanteuse du groupe, enceinte de trois mois, a mené ses décrochages vocaux avec une maîtrise de haute volée.
Juste avant, verre pris avec Eve à Saint-Jean, au cœur du vieux Lyon. Je suis perplexe quant à la tournure que doit prendre notre rapport qui n’est, pour l’instant, que cordial. Je ne me vois pas du tout vivre une passion ou un grand amour avec elle, et je ne crois pas qu’un lien purement sexuel lui convienne. Peut-être dois-je simplement la conserver comme complicité amicale. Je tâterai le terrain une prochaine fois tout de même.
Rediffusion, avant-hier, d’un hommage à « Monsieur Blier ». Une intelligence vive, conscient de son schéma corporel et de ses énormes capacités de comédien, une gouaille qui ne pouvait que décupler l’efficacité des dialogues d’Audiard. Le « j’éparpille... j’disperse... j’ventile », adressé à l’absent Lino Ventura qui vient de lui asséner un bon coup de poing sonnant et percutant, me régale à chaque fois. Quel pathétisme de le retrouver, lui si jovial, un mois avant sa mort, sorti pour recevoir son César d’honneur : tout amaigri, affaibli de toutes ses fibres, il peinait en tout. Heureusement, Les tontons flingueurs sont là pour nous le camper dans son resplendissant comique.

Mercredi 26 juillet, 23h58
Hier, 16h44, deux minutes après son décollage, le grand oiseau Concorde s’est écrasé entre deux hôtels à Gonesse, détruisant l’un des deux immeubles et se désintégrant avec tous ses occupants. Cent treize victimes, pour la majorité des Allemands aisés, en retraite, en partance pour New York d’où devait commencer une croisière paradisiaque. Jusqu'à 70 000 francs par tête de pipe déboursés (Concorde plus croisière) pour finir carbonisé. France Info, suivi de tout le branle-bas de combat du Big Media, n’a pas chômé en analyses, recherches de témoignages, hypothèses formulées, glanage d’infos tous azimuts. L’onde de choc a atteint les Etats-Unis, destination unique des treize (douze maintenant) Concordes répartis entre Air France et British Airway.
L’enfer de Gonesse, de ses habitants, va être démultiplié dans son impact psychologique et tient en un chiffre : quelque cinq cent mille survols annuels d’avions en phase de décollage ou d’atterrissage, c’est-à-dire à faible altitude.

Samedi 29 juillet, 0h30
Vu ce soir Eve, avec qui j’avais un peu flirté la veille, ses formes ayant l’attrait d’incliner à la débauche. Nous n’irons sans doute pas plus loin après ma glasnost sentimentale : mon état d’esprit, lui ai-je dit, ne me porte pas à vivre une dualité amoureuse. Amie, oui ; amante, avec délice ; amour impossible... Sa bonne éducation et son caractère ne permettront sans doute pas ce confort charnel pour moi.
Fini à la Tête d’Or la Thérapie de David Lodge : journal fictif d’un homme d’âge
mûr, ayant socialement réussi, mais en perdition psychologique et, par contrecoup, fragilisé dans sa santé, avant sa renaissance.
En sélectionnant les meilleurs passages de mon existence, en les développant dans les détails et les décors, par la suggestion de certains mots clefs, en liant le tout, enfin, pour atteindre la cohérence romanesque, cela pourrait constituer un récit vendable...
Un parallèle avec Lodge : lorsque son personnage, Lawrence Passmore, part à la recherche de son premier amour, quarante ans plus tard. J’ai fait de même, mais avec seulement trois années de recul, lorsque je suis allé (photomaton en poche) à Trappes pour dénicher le foyer de la vénusienne Aurore. Ma vision d’elle à la Gare Montparnasse, plus belle que jamais, estomaquée de me trouver là, restera comme une de mes plus intenses émotions... La galerie des occasions perdues s’anime de mes fantômes.
Heïm trouve les cent cinquante dernières pages du Journal pamphlétaire (depuis début 98 donc) d’une facture littéraire bien supérieure. Est-ce dû au simple effet des années qui passent, à cette sagesse qui vous guide vers l’évocation efficace de l’essentiel ? Est-ce l’influence bénéfique des cours divers donnés qui affine mon expression écrite, dégraisse mon style, court-circuite les gratuités littéraires ?
Le dernier album de Seal, découvert il y a deux ou trois ans chez un petit disquaire de la rue Mouffetard, regorge de musiques inspirantes. Il a accompagné ma plume cette nuit.
L’étroitesse de mon univers matériel ne doit pas me départir de mes vagabondes notations, seule subsistance d’une fragile créativité et témoignage d’un décalé tiraillé entre l’obsédante quête de celle qui ravira son cœur et ses sens et la préservation de cette indépendance à la Léautaud (avec la notoriété littéraire et la ménagerie en moins). Un authentique et banal anonymat que le mien, moi si paradeur.
Autre parallèle amusant avec la fiction (mais à quel point ?) de Lodge : la manière de faire certains de mes points sur les « i » ou mes accents, lorsqu’un « r » suit le « è », est la même que celle de Maureen, le premier amour du « héros » : « (...) ses « i » surmontés d’un petit cercle. Je pense finalement qu’elle avait pris cette idée sur les publicités des stylos Biro. »

Dimanche 30 juillet
Nouvelle pratique lors de revendications sociales au sein d’une entreprise : la menace terroriste. Tout faire sauter si on n’est pas entendu. L’employeur devrait se mettre au diapason : explosion de tronches si les employés mettent en danger l’activité de l’entreprise par leur incompétence, leur fainéantise ou leur sabotage.
Le comblé Kourilsky (professeur au Collège de France et à l’Institut Pasteur) s’essaye à la polémique dénonciatrice du rôle de Big Media dans la diffusion des connaissances scientifiques et de leurs évolutions ou points de rupture. Sa Science en partage cloue au pilori, notamment, les apparents délires de Benveniste et sa poétique « mémoire de l’eau ». Les erreurs éditoriales de la si auréolée revue Nature et du pontifiant Monde amplifièrent maladroitement (ou insidieusement) ce qui se serait rabougri, pour Kourilsky, à une éphémère aventure pseudo-scientifique au nom du sacro-saint principe de la reproductibilité des observations réalisées. Faute de cette rigueur, on reste sur la berge des opinions de comptoir, avec tubes à essai en guise de mousse désinhibitrice.
Ne pourrait-on opérer la même descente en règle de l’immanent Big Media pour sa méthode de traitement de l’actualité ? A approfondir en dehors du soleil de la Tête d’Or. Le polochon en solitaire conviendra mieux.

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