Août

Mercredi 2 août, 0h30
Nuit dernière passée avec Eve qui a finalement cédé à ma gourmandise, malgré mes mises en garde sur la teneur de notre relation. L’abstinence prolongée a, sans doute, démultiplié son désir. Très appétissante dans ses formes, elle n’a toutefois pas déclenché ce summum de frissons qui accompagne les vraies inclinations. Un gentillet partage sexuel que la préalable conquête dépassait presque en densité excitante. En finissant cette phrase, je m’aperçois du terrible cynisme de mes propos. Suis-je si désespéré que plus rien de ce qui m’est accessible (j’idéalise toujours les silhouettes non abordées) ne peut me combler ? Sage lucidité ou extinction de toute humanité ?
La réunion pour l’anniversaire de Heïm a été avancée au samedi prochain. Je pars donc dès vendredi après-midi pour le château d’Au. Nous devrions aller déjeuner au château de Barive. Séjour éclair puisque le dimanche sera parisien avec Sally, S., Karl et son amie I. Dès le soir, ou le lundi matin, retour dans le Lyon surchauffé.
Le travail sur l’index du Gâchis est fastidieux

Jeudi 3 août, 0h50
A toujours vouloir étirer la journée pour qu’elle ne s’achève pas, je me retrouve souvent aux premiers instants de la suivante pour gratter ces pages...
Quelle satisfaction que la vive intelligence chez des enfants. Les Z., frère et sœur de 12 et 15 ans, je crois, investissent les textes littéraires que je leur propose avec d’heureuses interprétations. A l’inverse, P.L., à qui je donne deux heures de français (méthodologie pour le texte argumentatif et le commentaire composé), d’intelligence très moyenne, bloque sur la plupart des exercices d’entraînement par une incompréhension du texte et une incapacité à exploiter les outils proposés. Son absence de pratique du français pendant plusieurs années constitue, certes, une circonstance atténuante, mais elle ne justifie pas toutes les lourdeurs d’esprit constatées. Je dois quelquefois contenir mon agacement tellement les inaptitudes se multiplient.
Trop tard pour approfondir...

Mardi 8 août
Samedi midi, repas au château de Barive avec Heïm, Vanessa, Sally, Monique, Hermione, V., Hubert, Karl et moi. Un bon moment pour l’anniversaire (avancé) de Heïm (et celui de Monique !) prolongé au château d’Au.
Le soir, et jusqu'à trois heures du matin, une moins agréable veillée-catharsis, en tête à tête avec Heïm qui me trouve bien « silencieux » depuis quelques visites... Regard critique sur mon Gâchis, impubliable tel quel chez un « grand » éditeur, stigmatisation de mes comportements passés et présents, regrets que je n’ai pas davantage insisté ou énoncé mes « réussites » (notamment sur le
plan juridique). Puis, au fil des Bisons, les dénonciations ont pris un tour plus expéditif : interdiction que je poursuive ma thèse sur lui, arrêt prochain de la moribonde association Hisloc, impossibilité pour moi de publier autre chose après ce Gâchis (en forme d’arrêt de mort littéraire) et, pour finir, un adieu définitif dans l’affection (mes cartes et petits mots seront les bienvenus, mais pas ma présence physique dans cet état d’esprit). Mon « masochisme », qui semble transpirer des 600 pages du Journal pamphlétaire, a sans doute été comblé, mais j’en avais gros sur la patate...
Je ne sais si, cette fois, les paroles relayaient des décisions fermes et définitives.
Le dimanche, très douce journée à Paris avec Sally, S., Karl et son amie I. Déjeuner à L’auberge du bonheur (près du restaurant grand luxe La Cascade), promenade au jardin de Bagatelle (où j’avais dû venir avec Sandre), petit tour en barque sur le grand lac du bois de Vincennes et, pour finir, découverte des locaux achetés par Sally au Boul’ Mich’, en face de l’Ecole des Mines. L’effet divertissant a été complet avant mon retour au bercail lyonnais.
Une semaine à passer et je file à Royan pour retrouver Sally, son amie N. et S. Une douce détente en perspective. Je pourrai affiner mes lectures, pour la rentrée de Galien, par des prises de notes appropriées.
Le journal est vraiment mal considéré pour un écrivain qui ne compterait que sur
lui pour prétendre à une œuvre (le cas Léautaud fournit pourtant le contre-exemple d’un écrivain dont la production majeure est son Journal littéraire). Le médecin-écrivain Martin Winckler, dans sa compilation En soignant, en écrivant, note le peu d’importance de sa production écrite. Après avoir énuméré ses pontes (un roman, six nouvelles, cinquante chroniques, etc.) il ajoute : « et un journal composé d’une trentaine de cahiers et carnets de tous formats, régulièrement tenus depuis 1976, mais par essence [pour qui ?] non destiné à publication. »
Faut-il faire brûler ce suivi subjectif et très partiel d’une vie ? Cela revient à une seconde mort. Sans doute ce qui attend ces pages (même pas l’autodafé, mais l’oubli, et plus exactement l’impossible émergence).

Jeudi 10 août
La Tête d’Or m’a porté chance cette fois-ci. Mercredi, je décide de me faire une journée complète au parc, sitôt mes deux heures de cours données. Sur les lieux, rencontre avec une charmante hollandaise, Heleen, 28 ans, à Lyon jusqu’au 2 septembre pour raisons professionnelles : promenade à pied, glissade en barque sur le lac, séance cinéma... et découverte d’une gourmandise réciproque.
Aujourd’hui, escapade dans le Beaujolais et entente croissante. Quel dommage que cela ne soit voué qu’au court terme.

Lundi 14 août
Sept heures de voyage pour parvenir à Royan. Le ter Niort-Royan doit passer par Saintes : petite pensée pour Madeleine C. et sa troupe canine Léon et Lola (à deux ils font bien le chambard du double !).
Nuits avec Heleen d’une intensité sans retenue. J’aime regarder son visage changer lors de nos unions. Notre attirance réciproque semble sans faille. Elle pourrait potentiellement devenir un grand amour, celui avec qui l’on construit. La distance géographique en décidera autrement. Nous redoublons donc l’expression de nos penchants.
Après avoir passé un dimanche paradisiaque chez les C., en présence de Marie-Pierre et Damien, Heleen est venue me retrouver dans mon antre lyonnaise pour partager le nocturne avant mon départ. Son visage sculptural (petit nez, cils longs et fournis compris) son élancement (1m74) et des formes bien placées (62kg), la joliesse des mains et des pieds (taille du 39) en font une complice idéale, mais elle repart aux Pays-Bas le 3 septembre... L’éclair m’aura marqué.
16h50. Arrivée dans la maison du père de Sally avec N., son amie colombienne. S. nous rejoint demain midi pour quelques jours de détente.
Le ciel présente une pâleur laiteuse qui ne me dissuadera pas de me baigner.

Mardi 15 août
Ce matin, découverte avec Sally et N. d’une plage de rêve : très loin de la route, un sable fin, une largeur désertique et un océan mouvementé. Le site nous accueillera de nouveau demain matin avec S., arrivée ce midi.
Journée sans nuage et plaisir du repos dans un transat, avec la mélodie du vent dans les peupliers en sus.
J’achève Knock ou le triomphe de la médecine de Jules Romains, un des cinq ouvrages au programme de la fournée estudiantine de Grange-Blanche. J’avais eu le plaisir, en compagnie d'Aurore, mon premier amour, de voir Serrault interpréter le docteur dans un grand théâtre parisien. La folle de la Cage avait, selon sa talentueuse habitude, donné tout le croustillant au performant médecin. Un digne successeur de Louis Jouvet, malgré une manière d’incarner sans doute opposée.
Je vais maintenant plonger dans le monument de Goethe, Faust, traduit par Gérard de Nerval. Le programme littéraire des étudiants au concours de médecine aura ainsi été avalé.

Jeudi 17 août
Ce matin. Une délicieuse fois de plus, début de journée à la plage dite « de la pointe espagnole ». A 9h30, les seuls occupants tournoient et se posent avec des cris aigus : quelques mouettes en quête d’une pitance ensablée. Les mouvements océans ont une grâce surpuissante face à laquelle une extrême humilité nous évite l’enfoncée fatale. Les grondements, toujours recommencés, de ces masses d’eau qui montent, vivifient les sens bien au-delà de ce que peut faire la Méditerranée estivale.

Le séjour a les atours les plus doux que je pouvais espérer. Sally adorable et enchantée de mon bonheur affiché ; N. très agréable et qui semble m’apprécier ; S., touche plus mitigée, minée par des maux de tête et qui semble dépitée de la distance que j’ai prise à son endroit. L’astre, un peu voilé aujourd’hui, n’assombrira pas ce tableau régénérant pour l’essentiel.
Eu Heleen au téléphone hier soir, après qu’elle eut vainement tenté de m’appeler (je boude mon portable en ces temps de repos) : confirmation de son envie de passer me voir à Fontès durant ses deux jours de semaine valant week-end. Je vais donc présenter ma nouvelle dulcinée-médecin à grand-mère, la relation étant malheureusement à durée déterminée.
23h10. Etendu sur ma couche, après une douche vivifiante, je goûte jusqu'à son terme cette journée sainement exténuante. Une matinée à la pointe espagnole, une fin d’après-midi sur la plage de Royan et, entre les deux, de bons mets et une longue sieste dans le jardin, bercé par le bruissement des peupliers feuillus.
L’effort physique a consisté à se faire emporter par des vagues costaudes, pointé sur leur crête fluctuante, planche solidement tenue. Un vrai gamin pour un plaisir simple.
Cynisme des pays occidentaux : pour que les otages détenus à l’île de Jolo soient enfin libérés (parmi lesquels six français), acceptation que l’infréquentable Libye et son ensanglanteur Kadhafi payent les rançons exigées. La propreté clamée des autorités occidentales a tout l’air d’une passation de fange. Enfin... si cela permet aux pauvres malheureux d’être enfin libérés... l’hypocrisie reste bien accessoire.

Vendredi 18 août
Haro sur les automobilistes !
Les chiffres de l’insécurité routière viennent encore rappeler l’étendue de la criminalité dite involontaire : pour le week-end du 15 août plus de cent tués et environ mille blessés. La grande cause nationale pour l’an 2000 n’a pas fait évoluer d’un iota l’attitude irresponsable de bon nombre d’automobilistes. Ou plutôt si, comme le tourisme en France, une progression recors !
Notre ministre coco Gayssot ne va pas assez loin dans la sévérité : pourquoi ne pas supprimer à vie les permis des nuisibles au volant ? Pourquoi ne pas obliger chaque conducteur à un examen périodique faisant le point de sa capacité à être sur les routes ? Encore une mollesse qui coûte cher à des dizaines de milliers de personnes chaque année... Pour les mutilations diverses, la route a amplement remplacé les grandes guerres.
Aujourd’hui, derniers instants de vacances à Royan, sous un ciel changeant. Découverte, cette après-midi, du fantastique zoo de la Palmyre.
[...]

Vendredi 25 août
Débarqué ce soir, tout brûlant, à Fontès. La canicule, alliée au train Corail non climatisé, a transformé le voyage en dégoulinant trajet. A Montpellier, j’ai pris un bus plus frais pour me mener chez grand-mère. Mon frère Bruce est présent jusqu'à mardi matin et le soir de ce même jour Heleen me rejoint. Nous partagerons nos derniers instants avant son retour aux Pays-Bas.
Quelle curiosité de rencontrer au parc de la Tête d’Or une néerlandaise (l’appellation hollandaise est incorrecte), médecin de surcroît. Cela a beaucoup amusé mon pater eu au téléphone il y a quelques jours. En revanche, j’ai dû rassurer ma grand-mère qui craignait me voir prendre les voiles pour l’autre pays du fromage. L’amour de vacances aura été dense mais écourté.

Hier soir, Heleen m’a amené, avec trois de ses copines (mon air était réjoui dans son auto délicieusement remplie avec Maud, Mare et Gaya), à une soirée organisée chez un compatriote, installé à Lachassagne, et rassemblant une bonne part du groupe néerlandais qui travaille chez Acta. Un barbecue d’adieu, en quelque sorte, la majorité retournant chez eux après cette collaboration estivale. Entre braises à entretenir pour les merguez et viandes diverses, et une petite poussée misanthropique, j’ai tout de même passé une bonne soirée.
Cette petite semaine à Fontès sera placée sous un signe studieux. Les stages de rentrée pour l’Institut Galien se profilent, et il me faut être prêt pour nourrir mes interventions. Seuls les deux derniers jours avec Heleen auront une coloration de vacances.
Eu rapidement Sandre en ligne qui m’a répété d’embrasser ma grand-mère pour elle. J’ai, à nouveau, essayé de rendre service à une de ses accointances avec mes piètres connaissances juridiques.
Le mariage de Shue approche et j’ai trouvé sans problème, à Lyon, un établissement qui loue des smokings. Les frais vont se cumuler, mais que ne ferais-je pas pour ma chère amie iranienne ?
La mort des cent dix-huit marins russes dans leur coque d’acier, qui gît par cent vingt mètres de fond, m’est un peu passée au-dessus (!) de la tête. Probable grosse gourde d’un navire russe lors de l’exercice militaire en cours, elle a révélé les limites de Vladimir Poutine comme chef d’état. Un manque de maturité politique qui a sérieusement lézardé son image. Peut-être devrait-il se mettre à boire, comme son révélateur le clown Eltsine. Sa force comique restera toutefois bien inférieure à celle du dodu rougeaud.

Samedi 26 août
22h50. Je viens de terminer mon projet d’introduction au Gâchis exemplaire, mise en contexte nécessaire pour les éventuels futurs lecteurs. J’espère qu’elle conviendra.
Le camping de Fontès s’est doté d’une piscine : j’irais sans doute y faire trempette demain après-midi avec Bruce. Une première journée que j’ai centrée sur la relecture avec prise de notes de La science en partage.
Un mariage a eu lieu à Fontès et, ce soir, la salle des fêtes accueille les
nombreux invités. Le mien aura une coloration plus up-to-date : Shue, Monte-Carlo, smoking, hôtel de luxe...
Ma grand-mère a toujours la même vivacité intellectuelle même si elle oublie ses clefs ! Dommage qu’elle soit si handicapée pour se déplacer : causes uniquement accidentelles (voiture dans un fossé puis chute dans la cuisine).
Je retourne à mes lectures perverses...

Dimanche 27 août
Passage à la piscine du camping L’Evasion, mais sans Bruce fatigué de sa nuit blanche. Il part demain matin à l’aube. Nous aurons la maison pour nous, Heleen et moi.
Après avoir accompagné grand-mère à la Providence, je lis une heure ou deux dans un fauteuil pliant sur le trottoir, devant la maison, comme cela se pratique en Provence.
Non loin de moi, le couple des S., qui vieillit paisiblement, d’une gentillesse renouvelée. Leur fille (toujours jolie et ligne de jeune fille), leur gendre et les deux beaux petits enfants (garçon et fille), ainsi que la sœur de Mme S., les rejoignent. Très reposant tableau pour l’âme ; une douce musique de leur conversation me parvient au cours de ma lecture attentive avec prise de notes. La réunion d’une famille qui fleure bon l’affection et la complicité naturelle. Le mari aurait malheureusement un souci de santé (une forme de leucémie) qui sera rapidement soigné, je l’espère. Que ce tableau si rare, malgré sa simplicité déconcertante, ne soit pas éventré par un drame insupportable !

Lundi 28 août
Appel de l’enthousiaste psychanalyste Martine S., amie parisienne, ancienne compagne du chanteur Bernard Lavilliers, qui prend de mes nouvelles. Elle vit un amour-passion avec un jeune homme (elle a dépassé la quarantaine), mais elle souffre d’un vide culturel, d’un manque d’enrichissement intellectuel. Je lui ai laissé mon e-mail et je lui enverrai le fichier Word de mon Gâchis exemplaire pour avoir son avis. Avec son tempérament de braise elle m’a lancé un « emplumez-moi ! » en faisant allusion à un désir de correspondance. Le signe ne trompe pas, d’autant plus venant d’elle, une trifouilleuse des boyaux de la tête.
Je la connais depuis 1995 ou 1996 et elle n’apparaît pas dans mon Journal comme nombre d’autres figures plus ou moins marquantes. Ma sélection scripturale ne répond à aucune logique.
Le soir, plongée dans quelques albums photos confiés par grand-mère. Nostalgie de toutes ces figures vieillies, de tous ces instants perdus... J’étais plutôt mignon petit, avant ma période binoclarde avec cheveux semi-longs...
Demain soir tard Heleen me retrouvera. Le temps doit malheureusement se gâter. Cela ne nous empêchera d’exulter...
Les F. ont rappelé Acadomia pour que ce soit moi qui suive, cette année, leur fille Elo deux heures hebdomadaires en philosophie. Une bouille et une fraîcheur que je vais avoir plaisir à retrouver, en sachant distance garder.
Sans doute très égoïste et égocentrique, j’ai privilégié la liberté de mon indépendance, dans une précarité assumée, et du temps pour l’écriture, plutôt que d’essayer la fondation d’un foyer avec enfants, comme le fait la majorité de mes congénères à trente ans passés. Mais sans âme sœur, que faire d’autre ? Sitôt Heleen repartie aux Pays-Bas, je retrouverai mon célibat lyonnais. Reste
les impondérables...

Jeudi 31 août

Retour de Fontès avec Heleen, me voilà à Dardilly, aux portes de Lyon. Séjour très agréable et culmination d’intensité avec ma chère néerlandaise. Je reste avec elle jusqu'à son départ, samedi matin.
Ma grand-mère avait ses yeux embués à notre départ... Je l’ai appelée, ce soir, pour la rassurer sur le bon déroulement de notre trajet.

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