Janvier

Lundi 3 janvier, 1h du matin
Un peu haché, voire à chier, le suivi... Un 31 improvisé à Chaponost, chez une jeune femme, jaf de son état, amie de S. qui m’y avait emmené...
Quelle médiocrité dans toutes ces interventions écrites. De la piètre relation d’épiphénomènes sans intérêt. Ne suis-je pas tout simplement en cours d’affadissement, sans relief pour réagir avec puissance, créer un style sans précédent, avoir une once d’ambition en ce début de millénaire. Mes petites crottes se perdront dans le néant avant même d’avoir existé.

Dans l’introduction de la nouvelle édition du Journal de Léon Bloy, l’exégète rappelle les critiques dont fait l’objet le « genre diariste », et ce pour mieux démontrer la sublime exception bloyenne. Mon cas est bien plus simple : je suis vautré dans ces travers sans pouvoir transcender le quotidien narré sans suivi. Je devrais les faire figurer au fronton du Gâchis exemplaire ces lignes contre le Journal (intime).
Passé une bonne partie de l’après-midi du dimanche à envoyer mes voeux pour 2000 sur des cartes reproduisant des aquarelles sur Lyon. Un premier envoi d’une trentaine d’enveloppes partira aujourd’hui.
[...]

Mardi 4 janvier, 0h48
Le Cave se rebiffe d’Audiard berce ma nuit et je tente à nouveau la cohérence ici.

Les tempêtes nord et sud ont fait près de 90 morts en France, des arbres abattus par dizaines de millions, des dégâts (immeubles, toitures, edf, Télécom) par dizaines de milliards. A cette tragédie doit se rajouter la pollution sur les côtes françaises (l’île de Ré, comme 400 km de littoral, a été touchée). Une fin d’année entre gluant et venteux !
Cette vie file à toute allure et je semble me recroqueviller sur une bien modeste dimension. Le célibat ne m’incite pas à me battre pour dépasser une condition certes peu reluisante, mais où le confort de l’indépendance n’incline pas à changer. Je n’éprouve aucune poussée ambitieuse : je ne conduis pas, ma carrière professionnelle se réduit à peu de choses, aucune histoire sentimentale à construire en vue... me suis-je définitivement englué dans une quarantaine panoramique ?
Même Hisloc, si précieuse pour mon statut social (éditeur !) ne décolle pas, s’enlise même dans un chiffre d’affaires annuel qui ne correspond même pas au salaire d’un cadre moyen sur un an. Pitoyable !
Avant de sombrer dans l’insignifiance la plus dérisoire, j’aurais peut-être l’inspiration de laisser un témoignage de tout ce qu’il ne faut pas être. « Handicapé de la vie » disait un personnage de cinéma (réf. qui m’échappe) : cela me colle bien... Un potentiel premier impossible à faire fructifier et un contentement du médiocre. Sans doute est là l’explication que je n’attire pas les femmes de qualité, et que je ne puisse envisager une vie duale construite. Triste sort d’une solitude auto-destructrice.
Le cédérom Encarta est un véritable bonheur pour la connaissance tous azimuts. Un lien avec internet peut s’opérer directement ce qui ouvre d’autant plus l’information sur tous les sujets imaginables.
Mes cartes de voeux sont parties hier... nous verrons bien les réactions... De là, je pourrais affiner mon tri des vrais et faux amis, accointances et relations... Les coupes franches risquent d’être conséquentes.

Mercredi 5 janvier, 0h24
Appel de Heïm pour me remercier de mes voeux laissés sur le répondeur et pour me souhaiter les siens. Ma carte n’était pas encore arrivée.
J’ai fait une deuxième vague (plus réduite) d’envois hier. [...]
Hisloc végète : mon dernier titre, malgré une bonne implantation libraires, n’a pas connu de ventes spectaculaires pour Noël. Une des causes importantes : l’absence de presse. Hormis Lyon cité (magazine mensuel de la mairie) et un passage éclair sur tlm, aucun des journaux phares du département, notamment Le Progrès de Lyon et Lyon Figaro, n’a daigné passer un article sur ma réédition d’un document exceptionnel (recommandé par Louis J., ancien président du CRDP) qui concerne au premier chef la région. Lamentable snobisme ou je-m’en-foutisme régional ?
Tout comme l’absence totale (hormis l’entrefilet) de soutien financier de la mairie : face à un ouvrage sur Lyon écrit par un auteur d’origine anglaise, réédité par un ancien parisien (moi !), les lyonnais municipaux n’ont pas été sensibles au sujet...

Samedi 8 janvier, vers 1h30 du matin
Sombre ambiance dans le magasine de la mer de G. Pernoud, Thalassa, et ce malgré les nouveaux générique et décor. L’explication ne tarde pas : les images toujours plus révoltantes de la pollution occasionnée par Total-Fina via l’Erika, cette ruine voguante sous pavillon de cons très très déplaisants. (Malte je crois, île que l’on devrait engluer de merde...) Voir la côte sauvage (les plages et les criques du Croisic notamment) dans cet état donne la nausée et révolte au plus profond. Chapeau bas pour tous ceux qui nettoient. Ma précarité ne me permet pas le déplacement, et je le regrette bien.
Nouvelle illustration de la néfaste mondialisation hors tout cadre juridique imposé pour éviter, par exemple, les pavillons de complaisance légalement admis !

Mercredi 12 janvier (depuis peu !)
Cela devient habituel de délier la plume à la première heure d’une journée, juste avant de rejoindre des songes incontrôlés.
Reçu quelques gentilles réponses à mes voeux : Sophie B., Hermione & V., Flo & sa sœur, François C., TLM via Nadjette M... et même Madeleine C. qui semble ne pas avoir retenu ma séparation avec Sandre (qui m’a également écrit). Coup de tél. de Florence P. et Vania C. Un début correct.

Vendredi 14 janvier, (0h et des poussières)
Ma chère Aurore (je correspond par e-mail avec sa charmante sœur Agnès, mariée et installée aux USA) a répondu par une très gentille carte à mes voeux. Etait jointe une jolie photo d’elle (bien qu’un peu floue) tenant un bébé (de... je ne sais plus qui). Pour un premier amour, le choix s’imposait comme une muse d’exception : quel ravissant visage, des yeux d’une pétillance adorable et un sourire discrètement coquin.
Pas de nouvelles de Shue, malgré deux e-mails envoyés ainsi que mes voeux par carte. Je tenterai demain le tél.
A tous les journaux télévisés, les images effroyables des côtes françaises engluées par le pétrole. L’atteinte au patrimoine naturel devrait être sévèrement sanctionnée : la mollesse prévaut. La multinationale française Total porte, certes, une responsabilité déterminante ; mais le système des pavillons de complaisance implique la communauté internationale comme on désigne abusivement les Etats livrés à la guerre commerciale.
Je n’ai plus la hargne vengeresse des débuts... Ce Journal sent parfois la crème rance... Même sur ce plan je m’affadis... Rien, je ne laisserai rien !
11h55 : coup de grogne contre ma tronche psychologique. Je vis dans une grande ville, mouaip !, mais en fait je suis tout à fait retiré du monde. Décalage d’attardé, d’inadapté à cet enfer. Comme on s’amuse...

Dimanche 16 janvier, env. 3h du matin
L’habitude des quelques mots jetés, l’œil au ras de la page, pour cause de myopie sans lentilles, prend quelque consistance.
Soirée sympathique (mais sans plus) avec quelques accointances lyonnaises issues du cercle approché au jour de l’an : la boustifaille moyenâgeuse de La Table des Echevins servit de point de rassemblement. Ma conviction s’ancre : je ne dénicherai pas d’âme sœur dans ce réseau. Pas de qualité suffisante. Désespéré mais difficile, le gars !
Au-delà de lui...
A propos de désespoir... Je me reconnais de plus en plus dans l’attitude intellectuelle de Polac. J’attends son Journal avec impatience. Son passage chez Pivot a confirmé mes affinités : même tentation d’autocritique, de « haine de soi », même désespérance misanthropique, même « maladresse ». Mon point fort reste toutefois un authentique ratage de mon existence et un anonymat absolu. Aucune source de réjouissance pour moi, donc, alors que l’ami Polac peut afficher un beau parcours. Cela me pousse à poursuivre ces brouillonnes annotations, quitte à noircir complaisamment mon portrait.
Il m’apparaît qu’à trente ans, je suis comme retiré du monde, incertain en tout, inutile à tous. Cet ermitage lyonnais me sied bien, car il me ratatine à ma piètre valeur. Je m’achève sans difficulté.
Lorsque la franchise avec soi-même s’impose, je peux avouer que les facilités relationnelles qui combleraient mon goût de la séduction me porteraient vers les plus médiocres donzelles, mais que la trouille vaut en l’espèce garde-fou.

Lundi 17 janvier, vers 1h30 du matin
Déjeuner dimanche midi chez Bruno et Christine, couple que Sandre m’a fait connaître. Leur fille Nolwenn (22 mois) est adorable.
Sur le parcours en métro, deux tasspê ont indirectement tenté l’amorce de drague à mon égard. Je pouvais entendre les bribes d’une fausse conversation dont le contenu devait amorcer ma réaction : « Il n’est pas mal, non ? », « Mais il a eu la varicelle ! » - probable allusion aux quelques marques sur mes joues - « Il a l’air triste », « C’est peut-être parce qu’il est seul ». Je n’ai rien relevé, trop peu d’intérêt pour ces pisseuses et rendez-vous à honorer. Pourtant, le cul se fait rare en ce moment. Je compense... Coupe franche dans les amantes, plus de nouvelles à ceux qui n’ont pas daigné répondre à mes voeux : ça éclaire bien le paysage. En tête des connards à évacuer : le susceptible Jean-Philippe D. et sa pitoyable réaction.
Les relations avec Sandre se sont bien distanciées. Dans ses délires relationnels, elle présente beaucoup moins d’intérêt amical. Qu’elle se trouve un vieux plein aux as, ce sera parfait. Moi, je m’éclipse devant cette vase répétitive.

Mardi 18 janvier, 0h13
Ce soir, passage éclair de ma charmante voisine, Alexia A., étudiante en architecture, des cheveux bruns épais et magnifiques, un visage plein de santé... Elle voulait vérifier par mes fenêtres (qui donnent sur la place de l’Europe) qu’une bande de jeunes postés sur le parking ne s’en prenait pas à son auto. Peut-être finira-t-elle par répondre à mes invitations lancées depuis quelques mois... Bien agréable présence en tout cas...
Le drame pour nombre de Français qui ont tout perdu avec la tempête... Un outil de travail et un passé réduits à néant en une nuit. Ces cycles de nettoyage opérés par la nature (ne parlons pas de dieu siouplaît) ont en l’espèce un caractère hautement injuste. Ces gens courageux (dans le secteur primaire si difficile en soi), désespérés, ne sachant comment repartir, tout cela émeut. Je songe au château d’Au : si la tempête avait fait plus que l’effleurer, le drame d’une destruction totale, et non plus de quelques dégâts matériels, aurait imposé sa sanction. Faudra revoir mes formulations, car je dois fricoter avec l’expression incorrecte.

Petit message d’Angela C., l’ancienne amante du Con royal, très touchée que je lui ai envoyé mes voeux. Je ne suis pas si détesté ou boudé à ce point : une majorité de ceux à qui j’avais expédié mes cartes ont répondu, par voie écrite ou orale. Des silences qui m’attristent cependant : Marie-Pierre C., Karine V., Aline L. (mais espoir encore possible, puisqu’elle réside en Angleterre, délais plus longs) ; à Lyon les couples G. et M., et Isabelle M. que ma proposition de relation amant-amante n’a pas séduite.
Ce matin, coup de gueule téléphonique au siège parisien d’Acadomia pour obtenir les reliquats de paiement en suspens depuis octobre et aggravés avec janvier. Cela semble avoir été efficace, mais attendons de recevoir les règlements promis. Cela fait en tout cas beaucoup de bien de laisser exploser sa fureur. Comme un grand rire...
Reprise de mon travail de thèse ce soir : conversion et nettoyage des différents fichiers utiles et début de répartition des citations au sein du plan. Je dois me résoudre à en faire un peu chaque soir, et un peu plus le week-end. Le sujet me passionne, et ce serait un inadmissible gâchis de laisser filer le temps. Tout comme la tenue de ce Journal, aussi médiocre soit-il, qu’il témoigne de la seule chose que je puisse continuer à faire par pure inclination : l’écriture.

Mercredi 19 janvier, 0h40
Souhait réalisé, mais réserve gardée. Hier soir, Alexandra (et non Alexia) A. répond à cette vieille invitation à boire un verre chez moi. Ma voisine s’avère effectivement très charmante et la conversation sur ses techniques de dessin en architecture très agréable. J’espère que ce ne sera pas notre seule entrevue.
12h35. Je viens d’assister à un très touchant témoignage de Pierre Botton, homme d’affaires ayant passé plus de six cents jours en prison. Il relate les conditions effroyables de détention, soutenant en cela les dénonciations faites par une « femme d’exception » (selon ses termes), médecin-chef dans une des prisons françaises.
Un manifeste signé par plusieurs personnalités ayant goûté aux barreaux (dont Bob Denard) doit sortir demain dans un hebdo. Le Nouvel Obs, je crois.
Un grand moment de télévision dans le 12-13 de France 3 : une sincérité brute ce M. Botton.

Samedi 22 janvier, 9h29
Ai commencé le Journal (extraits choisis par Pierre-Emmanuel Dauzat) de Polac ainsi que La supplication - Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse de Svetlana Alexievitch qu’il considère comme une des œuvres majeures de la seconde moitié du XXe siècle. En effet, les témoignages des victimes de cet « accident » nucléaire sont bouleversants, prennent aux tripes et surpassent dans la sincérité et le drame transmis tout ce que j’ai pu lire jusqu'à présent, y compris les écrits des rescapés de la Solution finale. Le crime technologique, nucléaire en l’espèce, me semble pour le moins atteindre l’humanité dans sa survie même, et globale, sans substitution d’une race à l’autre, d’une caste à l’autre, comme le projetaient les quelques illuminés du XXe (Hitler, Staline and Cie) qui laisseront une trace bien plus marquante et durable dans la mémoire collective que celle des bienfaiteurs de l’humanité. Une volonté de les garder au pinacle de l’intérêt historique pour l’exemplarité ou penchant irrépressible de chacun d’entre nous pour ce qui détruit, tue, anéantit ? Une fascination morbide pour ceux capables d’atteindre l’autre dans sa chair, avec parfois en prime un don pour déstructurer l’esprit de son prochain.

Lundi 24 janvier, 1h05 du matin
Sérénité nocturne au cœur de Lyon pour se laisser aller au nombrilisme décrypteur. Le décalé : ce titre me va bien. Animé par aucune ambition financière ou de détention d’un pouvoir, mais soucieux de paraître, une des nombreuses contradictions d’une personnalité tourmentée, j’assure le minimum pour que la survie ne paraisse pas trop miséreuse. L’envie de construire semble se limiter pour moi à l’opportunité d’être le témoin si possible lucide des occasions manquées. Le temps qui défile aura raison de tous mes fantasmes initiaux : point de gloriole, point de bonheur dual, et un isolement forcené pour mieux souligner mes limites. Lente autopsie existentielle, voilà une bien terrible raison d’être.
La fibre pamphlétaire ne semble même plus me transcender au regard des méfaits du monde. Est-ce pour éviter de sombrer dans l’obscénité du vieux révolté dénoncé par Bernanos ? C’est sans doute pour de moins glorieuses raisons.
Vu Sandre dimanche : elle semble aller bien, poursuivant ses pistes sentimentales, mais surtout s’apprêtant à devenir propriétaire d’un appartement dans une résidence de grand standing (avec piscine) en cours de réalisation par le même promoteur qu’au Domaine de Tassin et situé dans Lyon (cinquième). Déjeuner dans un excellent bouchon lyonnais. Nos rapports amicaux semblent parfaitement normalisés.
Elle m’a appris que Florence P. devrait s’installer avec son ami d’Afrique du Sud en Angleterre... Encore une belle demoiselle qui ne sera pas pour moi. Je n’aurai rien pour éclairer ma pitoyable vie.

Mardi 25 janvier, 0h30 env.

Le rendez-vous des commencements de journées se fidélise. Reste à déterminer le véritable intérêt de ces remplissages. Je songeais hier en posant ma plume, prétexte sans doute pour m’endormir plus vite, au sujet que je pourrais bien traiter si je m’engageais dans l’écriture d’un roman, ou d’une espèce approchant ce genre. Rien de bien net ne me vint, si ce n’est un penchant pour le charcutage intime plutôt que la fresque dépaysante. Pas d’évasion pour moi. J’ai choisi mon mode d’enfermement et je m’y tiens. L’histoire des tourments d’un décalé, en proie à ses incessantes contradictions, à ses minantes tergiversations, démotivé par toute idée de carrière, étranger au monde qu’il voudrait pourtant séduire dans l’instant et marquer pour quelques temps.
Voilà un projet qui m’aidera à m’endormir cette nuit.

Mercredi 26 janvier, 0h30 env.
Eu Monique au tél. ce soir. Elle m’apprend que la vieille
Belle, chienne adorable d’une douzaine d’années, est morte il y a une semaine. Une fin douce par une extinction cérébrale. De même, le mythique Gounouche de Hermione, chat proche de vingt ans et malade depuis bien longtemps. Des pans entiers de mon existence semblent s’évanouir avec ces chers animaux. Je repense aux chiens Ouarin (qui a partagé une partie de l’épopée de Heïm), Tual si intelligent et ayant participé à tant de mes jeux lors des rosées matinales au château d’O, féroce pour les visiteurs et les faibles agressifs (berger de Beauce croisé doberman ou beauceron... cela impressionne) et d’une telle affection avec moi... Une larme, une pensée pour ces si authentiques compagnons...

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